STRUCTURES, TRANSITIONS DE PHASE; C60 

L'étude des propriétés statiques et dynamiques des transitions de phase structurales continue de susciter une très vive activité au laboratoire. Les champs d'investigation sont très vastes. Certains, comme ceux des systèmes incommensurables ou des systèmes partiellement désordonnés évoluant vers des états mieux ordonnés, sont étudiés depuis longtemps, d'autres ont émergé plus récemment. C'est le cas des transitions impliquant des couplages de type électron-phonon ou spin-phonon. C'est aussi le cas de l'étude du C60. On sait depuis longtemps que des différences structurales minimes (écart à une structure moyenne, désordre ou ordre local, etc.) peuvent avoir des conséquences très importantes sur les propriétés des composés. La diffusion élastique et inélastique de neutrons est n outil privilégié pour la compréhension microscopique de ces propriétés. L’importance d’une connaissance précise de la structure et de la dynamique, tant à longue portée qu’à l’échelle locale est particulièrement bien illustrée par les exemples présentés dans ce chapitre.

 Activité théorique

Parallèlement aux études expérimentales qui vont être présentées, le thème de la dynamique de réseau bénéficie d'une contribution théorique remarquable dans la physique non-linéaire. L'existence des "breathers" (vibration localisée stationnaire sans dissipation) en tant qu'objet universel a été prouvée pour la première fois par S. Aubry. Ce concept s'enrichit de propriétés nouvelles: les breathers existent à température finie, ils peuvent s'ancrer sur le réseau et former des aggrégats, ils seraient alors à l'origine de relaxations thermiques anormales (exponentielles étirées comme dans les verres). Dans certaines conditions, ils peuvent devenir mobiles comme des solitons; lors de collisions, ils émettent ou absorbent des phonons.

 

L'étude des systèmes incommensurables concerne principalement:

 Le BCCD: (Thèse d'O. Hernandez)

Les études menées au laboratoire depuis quelques années sur le diagramme de phase extraordinairement riche du BCCD se poursuivent actuellement dans le cadre d’une thèse. Des résultats importants ont été obtenus récemment, en particulier la mise en évidence d’une hystérésis globale dans l’évolution du paramètre de modulation ainsi que l’existence d'une anharmonicité qui pourraient être la signature d’un escalier du diable complet. Ces résultats ont aussi montré la nécessité d’études structurales précises de ce composé qui faisaient jusqu’ici cruellement défaut, les rayons X créant des dégâts d’irradiation responsables d’accrochages métastables de la modulation. Ces études ont été effectuées au laboratoire en comparant les affinements obtenus avec des programmes standard e ceux basés sur le formalisme du superespace; elles devraient permettre de préciser les interactions responsables des différentes phases commensurables et incommensurables.

Le BCPS: (Coll. GMCM-Rennes)

Ce composé est un autre exemple de structure présentant une forte anharmonicité de sa modulation, associée à un fort paramètre d’incommensurabilité. Une étude très complète de la dynamique, couplée à des études calorimétriques et structurales a été effectuée; elle a montré l’existence d’un minimum très marqué en position incommensurable dans une branche transverse acoustique, ceci dès la température ambiante (TI+150K). Ce mode mou a été suivi en température; parallèlement, à TI+50K, un pic central de largeur en énergie inférieure à la résolution a été mis en évidence. Dans la phase incommensurable, la levée de dégén&ea u te;rescence du mode mou en phason et amplitudon a été observée.

C19H40/Urée: (Coll. GMCM-Rennes)

L'incommensurabilité de ce système résulte de la compétition entre les deux ensembles de translations fondamentales non commensurables entre eux. Il est prévu dans ces systèmes un nouveau degré de liberté. Il doit en résulter un mode supplémentaire de caractère acoustique: le "sliding mode". Les premiers résultats obtenus sont très prometteurs.

 

Les Pérovskites sont également très étudiées :

Les études structurales des pérovskites du type PbBB’O3 effectuées au laboratoire ont montré qu’on pouvait obtenir des propriétés de relaxation diélectrique (constante diélectrique forte et très "molle" en température, dépendant de la fréquence de mesure) quelle que soit l’existence ou la non-existence d’une phase ferroélectrique, ce qui est un résultat inattendu. Suivant la différence de taille et de charge des ions B et B’, on peut obtenir des pérovskites PbBB’O3 ordonnées ou désordonnées, mais les composés relaxeurs sont caractérisés par un désordre des cations B et B’; les résultats obtenus au LLB montrent qu’il s’agit en fait de deux situations limite, la plupart de ces composés manifestant d l’ordre ou du désordre B/B’ de manière locale. Récemment, les composés PbSc1/2Nb1/2O3 et PbSc1/2Ta1/2O3 ont été étudiés car ces composés peuvent être obtenus sous formes ordonnées ou désordonnées suivant le traitement thermique qu’on applique. A l’existence de ce désordre cationique se superpose un désordre polaire au sein des phases ferroélectriques qui a été étudié.

Un composé dérivé d'une pérovskite, le Cs2ScF4, présente deux transitions structurales intéressantes. Des modes particuliers s'amollissent à l'approche de ces transitions et deviennent suramortis. Tout ceci serait habituel si, pour l'une d'entre elles, la diffusion diffuse au-dessus de TC ne manifestait pas un caractère fortement bidimensionnel: elle est très modulée dans un plan et plate le long de la direction perpendiculaire au plan. Les transitions structurales dans des composés minéraux ont rarement une évolution 2D vers 3D.

 

Composés de type KDP

TlD2PO4 : (Thèse de S. Rios) L’étude comparative de ce composé avec sa forme non deutériée TlH2PO4 est très intéressante, car il s’agit d’un exemple où la deutération change dramatiquement les propriétés structurales et dynamiques du composé. En effet, alors que les phases haute température de ces deux composés sont isomorphes, on assiste à plus basse température à une mise en ordre des liaisons hydrogène, partielle dans le cas de TlH2PO4 avec une phase ferroélastique, ou complète dans le cas e TlD2PO4 avec une phase antiferroélectrique. Une étude par diffusion inélastique de neutrons, très difficile dans ce composé complexe, a permis d'identifier un mode de libration d'octaèdre instable et une diffusion quasiélastique associée aux liaisons hydrogène. Des études en fonction de la pression semblent montrer que les effets associés à la deutération sont semblables dans ces composés à ceux dus aux pressions internes.

Etude de systèmes partiellement désordonnés

 Dynamique et désordre des CH3 dans quelques composés moléculaires: (Thèse de E. Kaiser)

Le comportement des groupes CH3 a été étudié par diffraction de neutrons en fonction de la température dans les composés suivants: pyrazine, N-oxypicoline et g-picoline. Dans la pyrazine, l’étude structurale montre que les protons des deux groupes CH3 sont localisés et que ces deux groupes sont indépendants. Aucune transition de phase n’apparaît et la symétrie 3m des groupements méthyle est conservée depuis 260 K jusqu'à 5 K. Cette différence entre les deux CH3 est également observée par backscattering (deux pics inélastiques à 20 meV et 29 meV, expérience sur IN10 à l'ILL). La N-oxypicoline présente deux transitions de phase et seule la phase haute température (dans ce cas T > 140 K) a été étudiée. Une distribution continue mais carrée des protons a été mise en évidence et peut s’interpréter comme résultant du couplage entre le mouvement de rotation du CH3 et les mouvements de rotation et de translation de la molécule. Les données de diffraction de la g-picoline sont en cours de traitement. Deux transitions de phase ont été observées, sans changement du groupe d’espace. De 260 K à 10 K on observe la rotation des protons du groupe CH3 et au fur et à mesure que la température décroît les premiers r&e c ute;sultats semblent montrer que les mouvements de libration de la molécule s’atténuent. Ceci a pour conséquence que la représentation de la rotation des protons du CH3 s’éloigne de la forme carrée (observée à 120 K par exemple) pour s’approcher d’un cercle parfait (à 10 K).

La méthode du maximum d'entropie qui est une puissante méthode de traitement des données, a été appliquée avec succès au laboratoire dans un champ très vaste de la physique du solide, en partuculier en cristallogaphie. Elle a permis de situer avec précision la position des ions hydrogène ou de groupement méthyle dans des composés moléculaires ou des cations dans des systèmes désordonnés de zéolite. Elle a également rendu possible l'établissement de cartes de densité de distribution orientationnelle du C60.

La détermination de la structure d'oxydes d'indium dopés à l'étain a permis de connaître avec précision la proportion d'atomes d'oxygène en site interstitiel.(Coll. ESPCI-Paris)

Une étude similaire sur les fluosilicates a permis de préciser les différentes positions de la liaison hydrogène dans le cristal.

Enfin, concernant toujours la spécificité de la diffusion des neutrons par l'hydrogène ou le deutérium, un très joli résultat a été obtenu: on a observé une mise en ordre "chimique" à très basse température d'un mélange isotopique H2+D2 adsorbé sur du graphite, initialement homogène à température ambiante. C'est peut-être la vérification d'une vieille prédiction de Prigogine sur l'existence d'une séparation de phase à basse température dans un mélange d'isotopes d'hydrogène. (Coll. CRMC2-Marseille)

 

Le C60.

Voici un autre système d'actualité qui présente à Tc une transition structurale d'une phase haute température avec désordre orientationnel des molécules vers une phase basse température orientationnellement ordonnée. Mais des mesures de diffusion diffuse sur monocristal (Coll. Karlsruhe) ont permis de mettre en évidence un ordre orientationnel à courte portée au-dessus de Tc, dans la phase désordonnée. De plus, dans la phase ordonnée, les directions privilégiées des axes moléculaires ont pu être déterminées avec précision (Coll. Vienne) . Les différentes orientations préférées de la molécule, toujours dans la phase ordonnée, sont supposées varier sous pression hydrostatique; une première expérience sous pression a été faite conduisant à u diagramme de phase P-T en complet désaccord avec les résultats déjà existants dans la littérature. (Coll LPS-Orsay). De nouvelles expériences sont en cours.

Pour permettre de choisir un bon modèle décrivant les interactions intramoléculaires du C60, les modes internes de la molécule ont été mesurés non seulement en fréquence mais aussi en intensité de façon à valider le modèle à la fois par les valeurs propres de l'énergie et par ses vecteurs propres. (Coll. Karlsruhe)

 

Etude de transitions structurales avec couplage électron-phonon.

Les transitions de phase structurales mettant en jeu divers couplages électron-phonon constituent une partie importante de l'activité du laboratoire, et qui ne cesse de s'accroître.

La diffusion de neutrons a permis d'étudier la transition neutre-ionique du composé à transfert de charge TTF-CA.(Coll. GMCM-Rennes) Le diagramme de phase P-T a permis d'établir avec précision la nature de la transition et des deux paramètres d'ordre qui la pilotent: d'une part la variation d'ionicité de la molécule, d'autre part la variation de paramètre de maille due à une dimérisation de la molécule. Ce sujet est l'objet d'une thèse.

Parmi tous les composés présentant une transition de type Spin-Peierls (SP), CuGeO3 est celui dont la structure est de loin la moins compliquée. L'étude du couplage spin-phonon responsable de cette transition doit donc s'avérer très prometteuse dans le cas de ce matériau. Une étude exhaustive des branches de phonons comparée à un modèle de dynamique de réseau a permis de démontrer que l'amollissement d'un mode en bord de zone n'était couplé qu'indirectement à la transition SP. Par contre le couplage spin-phonon se fait sentir par un déplacement de fréquence et de facteur de structure vers 120K, c'est-à-dire bien au-dessus de TSP.(Coll LCS-Orsay et Karlsruhe)

Le Rhodium est un exemple où la topologie particulière de la surface de Fermi des électrons se reflète par des anomalies dans les courbes de dispersion des phonons (anomalie de Kohn). Grâce à un modèle de dynamique de réseau incluant des interactions interatomiques à longue portée on a pu rendre compte de ces anomalies de façon très satisfaisante (Coll. Karlsruhe).

Depuis fin 1995, un équipement pour mesurer des phonons par diffusion inélastique de neutrons à de très hautes pressions (≈ 10 GPa) a été développé au laboratoire, ouvrant ainsi un champ d'investigation très peu exploré jusqu'à présent. Une étude sur le germanium a permis de confirmer les calculs de structure de bande "ab initio" devenus indispensable dans les applications technologiques des semiconducteurs. C'est la première fois que des branches entières de phonons ont pu être déterminées à de telles pressions. Le zinc est actuellement étudié en détail suite à l'annonce d'une transition structurale qui pourrait être liée à un changement de la topologie de la surface de Fermi sous pression. Une telle transition devrait fortement influencer les branches de phonons acoustiques. Par contre les mesures ne mon r ent aucun effet autour de la pression critique. C'est pourquoi l'interprétation habituelle est remise en cause. Dans un avenir proche, des cellules avec enclumes en diamant synthétique devraient permettre, grâce à leur faible taux d'absorption, de réaliser un gain de signal significatif et essentiel pour faire progresser ces mesures. (Coll. Karlsruhe et PMC-ParisVI).

Un autre exemple de système où les phonons montrent une signature d'un couplage avec un degré de liberté supplémentaire est celui des solutions solides de structure fluorine

(MF2)1-x(RF3)x; c'est l'objet d'une thèse (Coll. CRPHT-Orléans-Prague). Les mesures de diffusion inélastique de neutrons cadrent bien avec le schéma suivant: à température ambiante, dans la solution solide, existent des "clusters" dont les modes de vibration sont très amortis du fait des sauts des ions fluor, donc difficilement mesurables. Quand la température s'élève, les ions F sautent de plus en plus vite, la conductivité ionique rend le système des ions F quasiment liquide et les modes de vibrations des clusters apparaissent comme complètement découplés, ils sont très peu amortis et donc plus facilement mesurables. A plus haute température l'anharmonicité des modes reprend ses droits et de nouveau les modes sont très amortis.

 

Perspectives

Dans le dernier rapport on soulignait déjà l'importance croissante de l'étude des transitions structurales impliquant aussi des transitions électroniques; il est clair que ce thème va continuer à se développer (TTF-CA, CuGeO3..). D'une façon plus générale, l'étude des électrons fortement corrélés, essentiellement développée dans le chapître magnétisme, fait apparaître clairement que le partage entre transition structurale et transition magnétique n'est plus tellement approprié à ces thèmes. L'exemple des pérovskites au manganèse dopées soit au Sr soit au Ca en est un autre exemple. Dans un souci d'homogénéité, l'ensemble de leurs propriétés est présenté dans le chapître "Magnétisme". L'étude des transitions structurales souvent piloté e s par l'effet Jahn-Teller a offert ces deux dernières années un champ d'investigation passionnant (voir le thème "Magnétisme"). C'est un sujet en plein essor dans le laboratoire, où les propriétés de transport, magnétiques, structurales sont étroitement imbriquées. Les neutrons, grâce à leur interaction simultanée avec les noyaux et avec les spins électroniques, constituent un outil particulièrement privilégié pour mener à bien cette étude.


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LLB Janvier 1998